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Si tous les gars du monde… Il y a 30 ans, à Tahiti !

Christian CHEFNAY

F9WT - ex FO8GM

cet article a été rédigé en 2013, déjà publié dans RadioREF à l’époque.

A l’époque, les médias locaux et nationaux s’en étaient largement fait l’écho, mais je n’ai jamais écrit d’article sur ce sujet…J’ai pensé qu’il était  temps de le faire 30 ans après !

 Je dédie ce récit à Jacques de Roux et à tous les acteurs de cette belle aventure à la gloire de la solidarité humaine.

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​​​​​​Papeete, mercredi 9 février 1983, aux alentours de 18h locales.

Le téléphone sonne à la maison. Je décroche :   Monsieur CHEFNAY , ici le Centre des Opérations de la Marine Nationale à Tahiti . Vous êtes radioamateur, nous avons besoin de votre concours.

Mon interlocuteur m’explique que la balise de détresse Argos d’un concurrent dans la course en solitaire autour du monde , Jacques de Roux, à bord du Skoïern III, a été déclenchée . Cette information a été communiquée par le centre de réception Argos de Washington au CNES à Toulouse qui a averti la Marine Nationale à Tahiti. La position fournie par la balise situe ce bateau à environ 2000 miles à l’ouest du cap Horn et à une distance égale dans le sud-sud- est de la Polynésie. «  Nous venons d’envoyer sur zone le bâtiment de la Marine Nationale le plus proche du lieu du naufrage, l’Aviso-Escorteur « Enseigne de Vaisseau Henry » qui se trouve aux Gambiers, mais il ne devrait pas y être avant le 14 février et il sera peut-être trop tard ! », me précise l’officier de marine du Centre des Opérations.

Mon correspondant me demande de  me porter à l’écoute des  concurrents de cette course équipés de stations radioamateurs, pour entrer en contact avec eux  afin de les informer de la situation ; il faut que l’un d’eux se déroute pour  récupérer Jacques de Roux  avant que l’Aviso-Escorteur arrive sur les lieux.

 

J’accepte bien évidemment, honoré que l’on me confie cette mission que je dois réussir à tout prix.

La tâche n’est pas facile. Je sais que les skippers se contactent dans le haut de la bande des 20m et je commence mes appels en français et en anglais. Aucune réponse des concurrents, mais plusieurs contacts avec des stations américaines, australiennes et néo-zélandaises qui se portent volontaires pour m’aider.

Une  chaîne internationale de solidarité se forme,  les gars du monde commencent à se donner la main pour tenter  de sauver une vie….

 

Papeete , jeudi 10 février 1983.

 Au petit matin de cette longue nuit de veille , vers 5h, j’ai la surprise d’entendre après l’un de mes appels : FO8GM , this is OD5KW,  Perseverance of Medina calling you !

Imaginez le bonheur qui m’envahit après une nuit blanche ! J’ai établi le contact avec un concurrent de cette course en solitaire ! Mes efforts n’ont pas été vains !

Après lui avoir expliqué la situation et lui avoir donné la position du Skoïern, le  skipper du « Perseverance of Medina », l’anglais Richard Broadhead, m’informe qu’il se trouve à environ 230 miles du bateau naufragé et qu’il se déroute pour porter secours à Jacques de Roux.

Nous convenons alors de rendez-vous réguliers pour que je puisse lui communiquer les différentes positions données par la balise Argos que me transmet la Marine Nationale  par téléphone à mon domicile.  Je demande également aux radioamateurs néozélandais à l’écoute du QSO d’être présents lors de ces skeds pour faire éventuellement le relais si la liaison directe n’est pas possible avec Richard.  Cette précaution s’avéra très utile, les caprices de la propagation ne permettant pas une liaison directe à plusieurs reprises. 

Un réseau de veille radio est également constitué par 6 OM du radio club de Papeete, le Club Océanien de Radio et d’Astronomie ( CORA) ,sous la houlette du président, Stan, FO8IW .

 

Papeete, vendredi 11 février 1983.

9h - OD5KW, Richard m’informe qu’il se trouve sur la dernière position de la balise Argos et qu’il met son bateau en panne.

J’en avise le Centre Opérationnel de la Marine qui me communique  la nouvelle position de la balise que je transmets de suite à Richard.

9h30- Richard est en vue du Skoïern.  Il récupère à son bord Jacques de Roux.

 

11h- Le Skoïern coule !

Je rends compte du sauvetage à la Marine qui va maintenant assurer les transmissions, guider l’Aviso Escorteur pour récupérer Jacques de Roux et contacter sur nos bandes le  Perseverance of Medina. 

Un problème technique surgit .La puissante station d’émission de la Marine à Tahiti ne peut pas transmettre sur nos bandes. Il m’est alors demandé de continuer à servir de relais avec le Perseverance of Medina et d’assurer aussi une liaison radio avec l’Aviso Escorteur tant que le contact direct entre les deux bateaux n’est pas réalisable.  Des skeds réguliers sont prévus sur 14.347 kHz, avec dégagement 15mn plus tard sur 7050kHz si la liaison n’est pas réalisable sur 20m.

FO8GM, ici Uniform Bravo, Enseigne de vaisseau Henry….

30 ans après j’entends encore cette voix grave d’un officier de l’Aviso Escorteur avec lequel j’ai eu des contacts  jusqu’au 15 février !

 

 

Papeete, mardi 15 février 1983.

Uniform Bravo me signale dans l’après-midi que Jacques de Roux est à bord de l’Aviso Escorteur. Mission accomplie ! Quel bonheur !

 

 

Papeete, mardi 22 février 1983

Jacques de Roux arrive à Tahiti, avec un accueil à la hauteur de l’évènement !

Les causes du naufrage.

Jacques de Roux était très bien placé dans cette course. Il avait terminé en première place à l’étape de Sydney et était en seconde position avant de franchir le passage difficile du Cap Horn, naviguant avec des vents de plus de 50 nœuds dans un océan déchaîné.

Une énorme lame venant de l’arrière retourne brusquement le Skoïern III , provoquant la rupture du mat et l’ouverture du panneau de descente. Le bateau se remplit d’eau.

Le Skoïern se rétablit sur sa quille mais  le mât brisé du bateau  crève la coque, provoquant une importante voie d’eau.

Jacques de Roux  déclenche sa balise Argos . Il n’y a pas d’émetteur radio à bord du voiler.

Il  pompe l’eau pendant presque trois jours,  2 heures sur 3, avant que Richard Broadhead ne le recueille à son bord.

 

Qui était Jacques de Roux ?

Je dis était car malheureusement Jacques a disparu en mer en 1986, lors de  sa seconde course autour du monde en solitaire à bord de Skoïern IV .

Jacques de Roux était Capitaine de Frégate,  officier sous- marinier. Il a commandé le premier sous-marin nucléaire d’attaque Rubis après avoir été commandant de La Sirène et second du Redoutable.

Après son naufrage en 1983, Jacques de Roux quitta la Marine et partit dans l’île de Biak , en Indonésie, où il dirigea une importante pêcherie de thons. Cela lui permit de financer son nouveau bateau, Skoïern IV, avec lequel il disparut  en 1986. Jacques avait 49 ans.

Remerciements.

Cet épisode intense de ma vie de radioamateur  a été couronné par le bonheur d’accueillir à Papeete Jacques de Roux, avec les autorités civiles et militaires, et d’avoir le privilège de lui mettre le premier autour du cou le traditionnel collier de fleurs.

Ce dénouement heureux n’a pu être possible que grâce à la formidable chaîne de solidarité qui s’est formée  dans le monde pour sauver la vie d’un homme en perdition au milieu de l’océan.

Le roman de Jacques Remy, porté à l’écran par Christian-Jaque  , « Si tous les gars du monde » , à la gloire de la solidarité entre les hommes , est devenu réalité en février 1983 dans le Pacifique !

 

 

 

 

 

Cela fait 30 ans…  une sacrée tranche de vie ! Je  voudrais profiter de ce récit pour rendre hommage à tous les acteurs  qui ont permis un heureux dénouement de cette tragédie.

Tout d’abord à mes amis du  CORA à Tahiti : Stan FO8IW, Alain FO8FO, Roland FO8EI, Coco FO8GW (sk)*, Emile FO8AG (sk) et Serge  FO8DB (sk), qui ont assuré la veille radio durant  26h. Pardon si j’en oublie certains !

Mais aussi à Alain, FK8ED, de Nouvelle Calédonie ; Peter, PY1ZAK, du Brésil ; les radioamateurs de Nouvelle Zélande ZL4JO Mathieu, ZL4JG Marc et ZL4MK Ron, qui m’ont aidé  dans mon trafic,   faisant le relais avec OD5KW, Richard, skipper de Perseverance of Medina.

Merci  à Philippe Jeantot,  EL0PJ , skipper de Crédit Agricole, qui a gagné cette course et avec lequel je fus souvent en contact radio.

Merci aussi à Guy Bernardin , FP1GB, skipper de Ratso II, qui a suivi les opérations de sauvetage, prêt à rendre service.

Et surtout, merci à Richard Broadhead, OD5KW, qui n’a pas hésité une seconde et s’est dérouté pour aller au secours  d’un concurrent en perdition. Cela ne l’a pas empêché de finir 3ème de la course (le temps consacré au sauvetage a été décompté bien entendu).

Pour finir, mes remerciements vont à la Marine Nationale basée en Polynésie, dont les autorités ont fait confiance aux radioamateurs pour assurer de​​​​​ multiples liaisons radio grâce au maillage que constituent leurs stations dans le monde, ainsi qu’à l’officier radio de l’Aviso Escorteur Enseigne de Vaisseau Henry et à tout son équipage.

C’était Si tous les gars du monde…fermez les yeux, écoutez …vous entendrez  la chanson dans votre tête !

​                                                  FO8GM en 1983

* Note :  sk , silent key, manipulateur silencieux. En langage radioamateur cela signifie que la personne est décédée

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                                                                               SUITE ...

A la suite de l’article sur le sauvetage de Jacques de Roux (Radio REF de juin 2013), j’ai reçu des messages de  plusieurs OM qui me faisaient part de leur plaisir d’avoir lu ce récit d’une aventure exceptionnelle dans la vie d’un OM. Qu’ils en soient à nouveau remerciés ! 

Mais il y a aussi ces deux témoignages, que j’ai voulu vous faire partager :

- Celui de Jean Patrick F5PKV, qui se trouvait à bord de l’Enseigne de Vaisseau Henry lors du sauvetage.

- Et celui de Philippe F6ETI, qui fut le secrétaire/radio de Jacques de Roux à bord du sous-marin La Sirène.

 

Jean Patrick  F5PKV

C’est avec grand plaisir que j’ai lu votre article sur le sauvetage du Commandant De Roux.

En effet j’ai participé très activement à ce sauvetage

J’étais Maître Adjoint Détection à bord de l’Enseigne de Vaisseau Henry.

Etant breveté supérieur de ma spécialité, j’animais une équipe de radaristes, dont la moitié d’appelés, pour l’entretien, la maintenance et le dépannage des radars et matériels associés, ainsi que les opérations de tout genre.

Nous sommes parti de Mangareva vers le sud. En Central Opération nous écoutions le 14 Mhz et j’ai dû entendre votre voix.

A 4 ou 5 heures avant notre arrivée sur la zone estimée, présumée, j’ai fait renforcer la veille radar. Plus il y avait d’yeux plus nos chances étaient bonnes. Pas de GPS à l’époque mais il y avait l’OMEGA à la précision toute relative à ces latitudes !

La météo était des plus clémente, rien au 50 ème hurlant ni au 60 ème rugissant !

Nous avons même croisé, à notre grande surprise, un gros chalutier russe.

L’écho de Perseverance of Medina nous est apparu et nous avons été soulagés. Notre navigation était aussi précise que possible.

Mise à l’eau d’un Zodiac et récupération du Commandant de Roux. Le bord avait préparé un colis pour le skipper du Medina : pain frais, gâteau et quelques vivres frais. Le temps passé pour le sauvetage a été neutralisé dans le décompte de son temps de course.

Puis demi-tour direction Mururoa pour déposer le Commandant.

Pendant le transit, j’ai eu l’occasion de discuter avec lui, homme charmant et modeste. Il avait navigué à bord de sous-marins.

Seigneur, je le vis comme si c’était hier !

Grand merci de me faire remonter tous ces souvenirs.

Pendant mes deux ans d’affectation nous avons sauvé 28 personnes. Mais à cette époque on parlait très peu du rôle de service public de la Marine, surtout en Polynésie. Surtout après les trois cyclones !

J’étais en famille et nous habitions à Punauia PK 12,8 coté montage et mon voisin était Abel Aouti FO5HS.

C’est en 1990 que je suis devenu OM…..

 

                                                                                                         Philippe F6ETI

C'était pour moi il y a 43 ans et demi...

Quelle n'a pas été ma surprise, et plus encore mon émotion, en ouvrant
et feuilletant une première fois Radio-REF de juin arrivé ce matin en
apercevant la tête de Jacques de ROUX, puis en lisant votre article !
Je l'ai tellement bien connu sur le sous-marin Sirène à partir de fin
1969, dont il a été ingénieur, commandant en second, puis commandant.
Ayant eu le bonheur de passer près de dix ans en quatre affectations
sur la Sirène, j'ai connu Jacques de ROUX à ces différents moments de sa
carrière à Lorient.
Je lui rends hommage sur ma page web consacrée à cette tranche de ma vie :
( page n'existe plus )

Etant son radio/secrétaire à bord, nous étions proches. J'ai bossé sur
Skoïern le soir après le "dégager" et dîné de nombreuses fois avec
Jacques à la Taverne à Lorient.
Lorsque nous faisions escale à Nantes ou à Brest avec la Sirène, j'ai
fait la route vers Lorient avec lui, dans sa Triumph ou Midget verte
dont il tenait le volant en croisant les bras...
Et d'autres anecdotes ! !
J'ai récemment récupéré une vidéo réalisée par son pote Jacques de
Laurens, qui était officier torpilleur, issue de la numérisation de
films en super 8 tourné lors de notre croisière d'endurance
Brest-Agadir-Lorient à l'issue de la construction de la Sirène. Il y
apparait.
Et le souvenir triste de l'hommage qui lui a été rendu à l'église de
Larmor-Plage après sa disparition...

Merci à tous deux de ces témoignages émouvants ….

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